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«Coordonner les efforts pour apporter des solutions»

Françoise Crété, présidente de la FDSEA.

© AAP


Quelle est l’analyse de la FDSEA sur la situation actuelle ?

Nous devons être lucides : la moisson ne fait que débuter dans les blés, mais les premiers résultats sont inquiétants. A ce stade, et à l’inverse de certaines années, si on a des anomalies, elles seront de bonnes surprises. Sur les colzas, pour l’heure, la fourchette est grande, tout comme elle l’a été pour les escourgeons. Avec les pois qui sont au marasme, la majorité des cultures de moisson vont être en souffrance. Et cette moisson, tout le monde comptait dessus : les polyculteurs éleveurs sont dans la tourmente depuis un an pour faire les jonctions de trésorerie. Quant aux céréaliers, c’est leur seule recette annuelle. Ajoutez à cela les surcoûts phénoménaux pour lutter contre les maladies en pomme de terre par exemple, on a du mal à trouver un tableau plus sombre....

Avez-vous chiffré les conséquences économiques ?
On peut s’attendre à une chute de marge brute de 700 à 800 € par hectare des cultures de moisson, et quand on reprend les chiffres de 2014, ça veut dire une marge brute quasi nulle sur ces cultures, parfois même négative, parfois légèrement positive. Ensuite, le cas échéant, viendront des indemnités pour les producteurs assurés en multirisque lorsque ce type d’assurance se déclenche. Enfin, la marge brute d’élevage va également perdre environ 30 à 40 € aux 1 000 litres de lait, entre la chute du prix, et la légère amélioration sur les charges. En appliquant ces chiffres à nos assolements ou cheptels, on arrive à une estimation certes grossière, mais qui tire la première tendance. A l’échelle de chaque exploitation, un pré-résultat s’impose dès que la moisson est terminée et qu’on a connaissance des volumes récoltés.

Vous parliez la semaine dernière des raisons d’espérer... Vous pouvez préciser ?
En effet, il faut aussi imaginer ce qui peut aller mieux. Prenons trois exemples : le porc a vu son cours se redresser de 40 centimes en quelques semaines. En lait, certaines cotations, notamment le beurre «spot» se redressent également. Enfin, en blé, il y a un problème de volume et un problème de qualité qui impactent le prix. Pour le prix, je me souviens de 2014 : le problème de Hagberg avait fait effondrer les prix, mais le problème était tellement massif à l’échelle nationale que les circuits commerciaux s’y sont adaptés. Alors oui, nous allons accumuler les mauvaises nouvelles dans les prochaines semaines, mais il y aura un rebond ensuite.

Et ce que cela va suffire ?
Non, et bien sûr que non. Nous ne pouvons pas tout miser sur un «ça ira mieux demain», car le présent est dur, et il faut le surmonter. Les trésoreries vont souffrir, et rares sont ceux d’entre nous qui y sont suffisamment préparés. Il va nous falloir trouver des solutions autres, individuellement et collectivement. L’enjeu est double à mes yeux : non seulement chacune de nos entreprises est en difficulté, mais à mon échelle de FDSEA, le danger porte sur les filières, la profession et même l’ensemble de l’économie rurale. C’est un enjeu qui va au-delà d’une somme de problématiques d’entreprises. Ensuite, je suis convaincue qu’il nous faut avoir et donner des repères, des lignes professionnelles claires et partagées. Ne pas donner de repères, c’est exposer chaque exploitation à des prises de positions trop hâtives ou infondées, et en tout cas irréversibles.

Concrètement, que craignez-vous ?
Je ne veux pas que certains pensent que la solution c’est d’arrêter telle ou telle production, ou pire, qu’ils ne voient plus de solution. Plus que jamais, il faut avoir une vision claire de sa situation et ça, c’est une démarche individuelle, mais il nous faut garder des repères collectifs. Dans une profession aussi structurée que la nôtre, c’est un élément indispensable. Tous les agriculteurs sont en attente, non pas d’une solution miracle, personne n’y croit, mais de repères, de messages clairs, et d’outils à leur disposition. Ils veulent qu’on fasse la preuve de notre travail et ils ont raison. Nous ne sommes pas inactifs, mais nous devons aussi montrer et coordonner nos actions.

Quelles ont été les priorités et les sujets prioritaires de la FDSEA sur les derniers mois ?
Avant tout, alerter les pouvoirs publics sur la situation et pointer les responsabilités. Qu’on soit clair, une année climatique catastrophique, c’est le métier, et l’action publique ne devrait pas être d’apporter un saupoudrage d’aides conjoncturelles. Mais nous n’avons de cesse d’alerter sur les conséquences des décisions nationales et européennes depuis plusieurs mois.
Plusieurs exemples : la réforme de la Pac, avec au niveau européen l’abandon d’une ligne commune de gestion des marchés, et au niveau national une baisse significative des soutiens pour nos contrées ; la limitation de la portée de la déduction pour les investissements, qui a poussé durant les bonnes périodes à investir plutôt qu’à épargner ; l’abandon du fonds de calamités au profit de systèmes individuels, mais pas généralisés, donc moins efficaces collectivement ; et enfin la surenchère règlementaire qu’on a empilé depuis dix ans, et qui va malheureusement se faire sentir sur les prochaines années. J’ai pu en personne le dire au président de la République, au Premier ministre, et au ministre de l’Economie... Cela devrait être le boulot du ministre de l’Agriculture mais, lui, en ce moment, on ne l’entend pas. Qu’il vienne m’expliquer ce que serait la profession avec moitié de phytosanitaires cette année !
Autre sujet prioritaire, celui des zones vulnérables : le conseil de la FDSEA a marqué sa ligne : pas de travaux inutiles, que ce soit sur la zone vulnérable actuelle ou sur toute extension. Je pense aujourd’hui qu’on peut y arriver, mais c’est lourd. Pourtant, on ne baisse pas les bras, car tout ce qui amène des charges inutiles doit être combattu. Enfin, il y a des sujets «serpents de mer», comme la Pac, les contrôles, ou les procédures collectives... Que ce soit le personnel ou les élus, nous sommes dans le même bateau. Nous avons dans notre quotidien les mêmes difficultés, les mêmes contraintes, les mêmes contrôles, le même ras-le-bol parfois. A la FDSEA, comme je pense dans toutes les autres organisations administrées par des professionnels, nous sommes tous mobilisés.

Quelle va être la concrétisation de cette mobilisation ?
Je suis sûre que chaque organisme va engager des mesures exceptionnelles envers ses ressortissants. On a vu, par exemple, à la FDSEA, le gel de la cotisation, mais je vois aussi dans les coopératives des engagements sur les agios pour certaines, sur les souscriptions de capital ou les acomptes sur d’autres, sur l’ajustement ou le report de cotisations sociales, ou enfin sur les aménagements bancaires, avec ou sans l’appui des collectivités territoriales. Toutes ces initiatives vont dans le bon sens et elles sont appréciables. Pour autant, si elles restent isolées, elles n’auront pas la meilleure efficacité. Le prix du lait et de la viande ou la météo n’ont pas fait dans le cas par cas, et il serait insuffisant de se satisfaire du cas par cas.
Oui, les solutions seront individuelles, mais je pense qu’il nous faut coordonner les efforts de chaque organisme pour les faire entrer en synergie et non en juxtaposition dans chaque ferme. Cela peut générer des capacités d’action plus grandes, et je vais mettre toute mon énergie et le poids de notre conseil d’administration dans ce sens. Nous avons dans notre profession des capacités d’action, certes inédites, certes à inventer, certes imparfaites, car nous n’avons pas souvenir de situations similaires, mais nous ne pouvons pas nous résigner. Nous devons coordonner nos efforts pour apporter des solutions à la hauteur de la difficulté du moment. C’est à nous, organisations professionnelles, d’apporter des réponses qui permettent à chaque exploitation de se projeter dans l’avenir.

Et hors de notre profession ?
On l’a vu sur le Plan de soutien à l’élevage, le soutien de l’Etat est limité ; il ne peut suffire. Le Conseil départemental de la Somme et le Conseil régional des Hauts-de-France se sont positionnés en soutien à la stratégie de développement à moyen terme, c’était notre attente au printemps. Aujourd’hui, la crise a pris une ampleur supérieure, et il ne faut pas exclure de revoir ces copies. Mais surtout, je veux que les pouvoirs publics, Etat et parlementaires, tirent la plus grande conclusion de la situation : en ayant détricoté au fil des années les moyens de protection de notre profession, et en l’ayant fait crouler sous les réglementations et les charges, on l’a rendue vulnérable à tel point qu’elle vacille totalement en moins d’un an. C’est une lourde responsabilité, et soit on fait le procès des années passées, soit on en tire les conclusions tant sur les lois du moment que sur la future Pac. Remettons de la gestion, de la régulation, et de la protection collective, c’est vital.

Un dernier mot pour les agriculteurs ?
Qu’ils cultivent dans la fraternité leur confiance. Il y en a une étincelle en chacun d’entre nous, et il faut la faire vivre. Garder confiance dans notre métier, il est le socle de l’humanité. Garder confiance dans l’avenir, les cycles, c’est fait pour se retourner. Garder confiance dans l’engagement de tous, car nous sommes tous mobilisés. Et surtout, dans la fraternité, car l’isolement est la pire des menaces. On n’a jamais de pensée positive quand on ressasse seul, la nuit, ses problèmes. Dans ces moments-là, on ne voit pas comment ça peut aller mieux. Je le dis, car on l’a tous vécu à un moment. Dans notre fierté, on évite de s’exposer, mais nous sommes tous en proie au doute, et face au doute, nous avons tous la même vulnérabilité. C’est dans la lumière et dans la relation aux autres, famille, voisins ou collègues qu’on trouve son énergie.

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