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«Dans un marché ouvert les quotas sont une ineptie»

Interview de Jean Le Vourc’h

© DR.

 

Jean Le Vourc’h, producteur de lait du Finistère, qui fut président du groupe coopératif Even ainsi que de la fédération des coopératives laitières, raconte ce que fut l’instauration des quotas laitiers et leur influence profonde sur la production française.

Comment avez vous vécu la mise en place des quotas laitiers ?
Ce fut un séisme pour beaucoup de producteurs qui se trouvaient peu ou prou en phase de croissance, particulièrement les jeunes.
Les références de chacun ont été établies sur la base de la production de 1983 moins 2,5% (et 1% encore en 1986). En comparaison des réductions imposées aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, on pouvait penser qu’on l’avait échappé belle!
Il n’empêche que la mise en place des quotas fut ressentie comme injuste : les jeunes qui n’avaient pas suffisamment étoffé leur Étude Prévisionnelle d’Installation (ÉPI) se trouvaient bridés dans leurs projets de même que ceux qui n’avaient pas déposé de plan de développement.
La France avait choisi le quota par entreprise contrairement aux autres pays de la CEE qui avaient opté pour le quota par producteur. Choix dû à Fréjus Michon, alors président de la Fncl et de l’Office du Lait. Il avait estimé que le quota par entreprise serait plus «souple» que le quota par producteur.
En réalité ce sont les entreprises de collecte qui ont hérité de la gestion du dispositif !

La situation des producteurs a-t-elle alors profondément changé ?
Ce fut un coup d’arrêt brutal pour la plupart des producteurs qui n’étaient pas «prioritaires». Il s’en est suivi une bureaucratie à laquelle les producteurs participaient au travers des commissions mixtes départementales qui décidaient des attributions complémentaires de quotas. On a du mal à imaginer aujourd’hui les moyennes de productions par région : 42 000 litres en Rhône Alpes, 71 000 litres en Bretagne, 34 000 litres en Auvergne, etc.
Pour une moyenne française de 61 000 litres. Et 384 000 producteurs. Il y avait une limite de 200 000 litres au delà de laquelle on n’avait droit à rien. Nombre de producteurs sont restés figés dans leur métier faute d’avoir pu racheter leur voisin ou installer quelqu’un. Cette situation a probablement provoqué des départs ou des non-installations en production laitière. Ce qui a finalement accéléré la restructuration de la production, davantage chez nos concurrents (Pays-Bas, Allemagne, Danemark, Royaume-Uni..) plus encore que chez nous, où la préoccupation d’aménagement du territoire des zones en déprise laitière a été prise en compte.
On peut dire aussi que le quota a constitué une forme de protection pour le producteur : jusqu’à 2009 les prix ont peu fluctué.
C’est lorsque que les quotas ont été augmentés, en vue de leur suppression, que les prix se sont ponctuellement dégradés.

Les coopératives ont-elles été entravées dans leur croissance ?
Oui, c’est certain. L’énergie dépensée dans la gestion administrative a été importante, au point de me demander ce que nos services production faisaient avant ! Je pense aussi que le monde coopératif en général s’est moins préoccupé d’investissements, n’étant plus contraint par la production qui n’augmentait plus.
Pour autant, l’appareil industriel avait un criant besoin de se restructurer. Ce qui s’est fait là aussi avec retard au regard de ce qui s’est passé chez nos voisins. Les coops n’ont pas investi à l’étranger contrairement au secteur privé. Parallèlement, la part des industries laitières françaises et européennes au commerce mondial a régressé, lâchant la bride à la Nouvelle-Zélande et à l’Australie qui ont restructuré leur industrie.

Par quoi aurait-il fallu remplacer les quotas ?
Par rien, suis-je tenté de dire !
Dans un marché ouvert les quotas sont une ineptie sauf à vouloir se condamner. Il y a de mon point de vue deux France laitières : la plaine, et les zones protégées de montagne et piémont. Le concurrent de la Bretagne n’est pas l’Auvergne, mais le Danemark, l’Allemagne et les Pays-Bas. Certes cela ne sera pas facile ! Mais refuser de se mesurer à son concurrent, c’est accepter de mourir ! Nous avons des atouts : les hommes, le climat, les entreprises, un réel savoir-faire ! Et avec une perspective favorable à moyen et long terme en matière de consommation. Le moyen le plus sûr de contrer la concurrence de nos voisins c’est de produire en France sous peine de perdre nos parts de marché. Nous devrons le faire avec une volatilité des prix.
Le marché européen est mature et progresse peu. L’augmentation de la collecte doit trouver sa place à l’export. Mais cela suppose que nous tenions nos marchés intérieurs face à nos voisins.
L’ambiance de crainte que je ressens aujourd’hui en France en comparaison de l’ambition développée chez nos voisins depuis déjà plusieurs années est préoccupante. Sommes-nous à ce point inaptes à l’économie de marché après trente ans de quotas ? Je le crains. Quant aux régions de montagne ou de piémont qui mettent en oeuvre des AOC ou IGP, leur challenge consistera à faire coïncider leur production et leurs marchés moins ouverts au grand large que les productions de plaine. Qu’elles se dotent de règles spécifiques est légitime.
Mais les étendre à la France laitière toute entière serait de mon point de vue un non sens !
Pour l’ensemble de la production, la bataille que nous devons mener est celle du prix de revient. Combien de vaches laitières par UTH en fonction de la technologie mise en œuvre?
La restructuration va se poursuivre encore un peu. J’avais indiqué au début des années 2000, qu’une restructuration bien conduite devrait nous conduire à 50 000 fermes laitières à fin 2010. Nous n’y sommes pas encore. À cet égard, l’agitation déployée autour de la «ferme des mille vaches» est désastreuse. On oublie de dire qu’il s’agit d’un regroupement de troupeaux avec le concours d’un investisseur.

 

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