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La cellule Demeter sur les fonts baptismaux

La nouvelle cellule de gendarmerie dédiée au monde agricole a été présentée officiellement par le ministre de l’Intérieur dans le Finistère, et vivement dénoncée par l’association L214. Dans le même temps, des élus du conseil régional de Bretagne ont plaidé pour un renforcement de la réglementation sur les intrusions en élevage, alors que deux projets législatifs allant de ce sens sont dans les cartons.

Le 13 décembre, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a présenté Demeter, une cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole dans une exploitation agricole du Finistère.
Le 13 décembre, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a présenté Demeter, une cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole dans une exploitation agricole du Finistère.
© Ministère de l’Intérieur



Le 13 décembre, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a présenté Demeter, une cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole. «J’ai demandé que l’anti-spécisme soit un des axes prioritaires du renseignement», a-t-il déclaré lors d’une visite dans le Finistère en présence de représentants des syndicats agricoles FNSEA et Jeunes agriculteurs. En place depuis octobre, elle est destinée à «apporter une réponse globale et coordonnée à l’ensemble des problématiques qui touchent le monde agricole». Parmi les actions réalisées par cette cellule, la «sensibilisation» et les «conseils destinés à prévenir la commission d’actes délictueux» ; «la recherche et l’analyse du renseignement en vue de réaliser une cartographie évolutive de la menace et détecter l’émergence de nouveaux phénomènes et/ou groupuscules» ; le «traitement judiciaire des atteintes par une exploitation centralisée du renseignement judiciaire, un partage ciblé de l’information et une coordination des investigations le nécessitant»... et la communication envers le monde agricole. La gendarmerie a indiqué avoir recensé depuis le début de l’année «14 498 faits» d’atteintes au monde agricole, en augmentation de «1,5 % par rapport à l’année précédente».

Des faits divers en hausse
L’association L214, qui publie régulièrement des vidéos clandestines tournées en élevage, s’est insurgée contre la création de cette cellule, estimant que le gouvernement entend ainsi «intimider les associations de défense des animaux». Sur l’ensemble des faits enregistrés en 2019, «64,5 % sont des vols (cambriolages, vols de tracteurs, de GPS, de carburant...)», assure l’association dans un communiqué. L214 reprend le chiffre évoqué en novembre par la FNSEA de
«41 intrusions» entre le 1er janvier et le 30 août 2019 dans des fermes par des militants antispécistes. Ce qui représente selon l’association un «échantillon» de 0,28 % «monté en épingle et associé à des actes de vandalisme sans rapport pour justifier un arsenal répressif démesuré».

Deux projets législatifs en cours
À l’inverse, cet arsenal n’est pas suffisant aux yeux des élus bretons. Lors d’une session du 19 au
20 décembre, le conseil régional de Bretagne a adopté à l’unanimité un vœu portant sur l’intrusion dans les élevages, dans lequel il demande un renforcement de la réglementation nationale ; il souhaite qu’une intrusion puisse être qualifiée «d’atteinte à la propriété privée», et que soit «renforcé le contrôle des fonds finançant les associations au regard notamment de possibles interventions étrangères poussées par certains lobbys».
Des vœux qui font écho à deux projets législatifs en cours. Lui-même membre du conseil régional, le député des Côtes-d’Armor Marc Le Fur (LR) a déposé le 4 décembre une proposition de loi visant à supprimer la réduction d’impôts accordée aux donateurs des associations associées à des intrusions dans des exploitations agricoles. En parallèle, la droite et la majorité travailleraient sur un texte renforçant les sanctions prévues contre les auteurs d’intrusions dans les exploitations. Le texte viserait notamment à combler «deux lacunes juridiques» : les intrusions sans effraction et l’usage de drones.


Témoignage d’un agriculteur victime d’une intrusion : «Une grosse frustration»

Éleveur de poules pondeuses à Framicourt (80), Jean-Loup Sterin a reçu en 2018 la «visite» de l’association L214 ; à ce jour, le seul fait d’armes de l’association abolitionniste de l’élevage dans les Hauts-de-France.

L’intrusion, Jean-Loup Sterin connaît. En 2018, cet éleveur de poules pondeuses à Framicourt (80) a été victime de l’un des cauchemars de la profession agricole : l’intrusion de L214 pour le tournage d’une de ses désormais célèbres vidéos. Données comme une source d’informations fiable, elles peuvent contenir des approximations, voire des erreurs. Le but recherché par cette association en partie financée par des investisseurs dans le secteur de la viande synthétique, étant de monter la tête du grand-public contre tout mode d’élevage. «Ils se sont introduits chez moi une nuit du mois de mars, mais la vidéo n’a été publiée que le mardi 22 mai», raconte Jean-Loup Sterin, qui a appris la nouvelle par un coup de fil du journal Libération. En pro de la communication, l’association abolitionniste de l’élevage vient alors d’envoyer un communiqué de presse le vendredi précédant la sortie de sa vidéo. «Reconnaissez-vous les faits ?», lui lance alors le journaliste. L’éleveur «le laisse parler un peu», relève des erreurs dans la description de son exploitation selon L214 (elle assure qu’il possède 460 000 poules là où il en a 170 000, et qu’il élève des lapins, ce qui est faux), et demande au journaliste de lui envoyer la vidéo. Il refuse. «J’ai donc raccroché», se souvient Jean-Loup Sterin. «Le week-end qui a suivi, d’autres journalistes m’ont appelé, dont l’un a accepté de m’envoyer la vidéo.»
Ce que l’éleveur ressent à la vue du petit film tourné chez lui en insistant lourdement sur les volatiles morts dans le bac d’équarrissage, «en période de vide sanitaire, la période la plus vulnérable», juste après avoir vidé une bonne partie du bâtiment - «il y avait de la poussière partout» - c’est «une grosse frustration». «Des gens s’introduisent chez vous sans effraction, un mois avant que vous l’appreniez. C’est de la violation. Ils sont très bien renseignés.» Le cofondateur de L214 Sébastien Arsac, a indiqué avoir été renseigné par «un voisin». «Une personne était venue deux fois auparavant poser des questions», se souvient Jean-Loup Sterin, «mais est-ce elle ?» Il trouve malgré tout une satisfaction : «ils n’ont rien trouvé remettant en cause mon élevage en tant que tel. J’ai d’ailleurs eu une inspection de la DDPP suite à cette vidéo, qui en a conclu qu’il n’y avait rien à signaler». Très rodée sur le plan de la com’, L214, contrairement à d’autres groupes d’animalistes comme DxE, n’attaque pas les éleveurs nommément, mais mènent des combats sur les modes d’élevage en tant que tels – le but final étant d’abolir tout élevage. «Ils ne m’ont d’ailleurs pas cité, reconnaît Jean-Loup Sterin. Ce sont les médias qui ont relayé l’info qui ont donné mon nom.» À travers cette vidéo, l’association visait plutôt la société Matines, qu’elle avait déjà précédemment attaquée deux fois sur son système d’élevage en cages : en mai 2016, dans un Gaec de l’Ain, et en décembre 2017, dans les Côtes-d’Armor.

Un tempo dur à suivre
Et depuis ? L’éleveur se dit «désormais très vigilant à ce que les portes soient bien fermées». Il a également fait chiffrer l’installation d’un système de vidéosurveillance : 12 000 E. «C’est prévu pour début 2020», assure-t-il. «De toute façon, sur ce point, ils ont gagné, aujourd’hui toutes les grandes enseignes ont validé le fait d’abandonner les cages.» Pour Matines, ce sera à partir de 2022. Un tempo difficile à suivre pour des élevages qui ont parfois fait des investissements conséquents pour répondre à des cahiers des charges exigeants. «J’ai fait refaire mon bâtiment à neuf entre 2009 et 2011. Il me reste 1 million d’euros à rembourser. Pour abandonner les cages au profit d’un système libre dans le bâtiment, l’investissement serait de 2,5 millions d’euros.» Mais le professionnel relativise.  Même si ça a été un grand stress, j’ai vécu tout cela correctement, sans impact économique direct pour l’instant. C’est sûr qu’on a la pression du regard des autres, le sentiment d’être surveillé et, indirectement, la culpabilité de notre mode d’élevage alors qu’on répond complètement aux normes en vigueur. Mais il faut faire la part des choses, et garder son sang froid, et répondre aux attaques de manière pragmatique. Aujourd’hui, les élevages qui produisent sont aux normes. On est tellement contrôlés... J’ai ma conscience pour moi. Dans la profession, on se lève tous les jours en pensant au bien-être animal. J’ai ma conscience pour moi.»

Lucie De Gusseme

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