Betteraves : quelle est la situation du marché du sucre ?
Après la réunion technique annuelle de l’ITB, la CGB Somme avait convié Thimoté Masson, chargé des affaires internationales à la CGB, pour faire le point sur le marché du sucre.
Quelle est la situation actuelle du marché du sucre en Europe ?
Avec 307 €/t, le sucre européen est en situation dramatique. A partir de 404 €/t, l’Union européenne doit considérer que le marché du sucre est en crise. Nous sommes largement en-dessous. Mais cette crise européenne est à mettre en perspective avec un marché mondial extrêmement bas, à moins de 300 €/t. Depuis la fin des quotas betteraviers, l’Europe est excédentaire en sucre, donc liée au marché mondial. Dans le détail, 40 % de notre production est consommé en France, 38 % est à destination des pays européens, et 22 % est exporté vers les pays tiers. Pour autant, l’histoire de la betterave européenne n’est pas similaire à celle du lait. L’Europe est leader mondial de production de lait, alors qu’elle ne produit qu’un morceau de sucre sur dix.
Pourquoi les cours du sucre sont-ils si bas ?
Tout est lié à l’excédent au niveau mondial. En 2018, 5,2 Mt ont été produites en Australie, entièrement exportées, 11,8 Mt le sont en Afrique, 22,4 Mt en Amérique du Nord, et surtout, 39,9 Mt en Amérique du Sud, 36,4 Mt en Asie et 34,8 Mt en Europe. La grosse surprise a été la production de l’Inde et du Pakistan, qui a fait un bon de 12 Mt supplémentaires. C’est plus qu’au Brésil ! Mais on peut s’attendre à ce que cette situation ne perdure pas. Avec l’augmentation des coûts de production en Inde, la situation n’est plus durable. Et le Pakistan subventionne 180 €/t aux exportateurs mondiaux de son pays. Cette opération est limite conforme aux règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce, ndlr).
Que doit-on surveiller ?
Le marché du sucre est attentiste, autour des 12,5 cts/lb (ce niveau correspond à la parité du prix de l’éthanol brésilien touché par la baisse du pétrole), et se contente de suivre les cours de la monnaie brésilienne. Les filières sucrières mondiales, réunies à l’International Sugar Organisation (ISO) fin novembre, à Londres, l’ont souligné : les grands acteurs du marché mondial en 2017-2018 anticipent tous une baisse de production sur la campagne actuelle. Cela s’explique davantage par un retour à des rendements classiques, après une campagne 2017-2018 pléthorique dans le monde entier, que par des réductions de surfaces. Mais une inconnue, que peu d’analystes avaient vu venir, s’invite dans le marché : le cours du pétrole. Il a perdu 30 % depuis début octobre et revient à des niveaux que l’on avait peut-être un peu trop vite oubliés. Or, qui dit pétrole bon marché, dit éthanol bon marché. Pour l’instant, l’Europe semble à l’abri. Fin décembre, l’éthanol T2 à Rotterdam dépasse les 53 €/hl (son plus haut niveau depuis un an). L’effet est bien plus rapide au Brésil : l’éthanol hydraté a perdu presque 10 % en réal, et l’éthanol anhydre (qui est mélangé à hauteur de 27 % avec de l’essence) a perdu 8 %. Avec le niveau actuel des prix de l’éthanol, on est exactement à parité avec un marché mondial du sucre à 13 cts/lb… La situation sera à suivre de près, notamment à l’entrée de la campagne brésilienne, en avril prochain : si le pétrole rebondit, l’allocation de la canne vers l’éthanol pourrait produire un déficit sur 2018-2019, et permettre un rebond des cours. Mais si ce n’est pas le cas, la notion même de déficit pourrait être remise en cause… Car, son allocation changeant, l’inconnue brésilienne représente quelques 11 Mt de plus ou de moins sur le marché mondial.
Pourquoi peut-on espérer une amélioration de la situation ?
Tout d’abord parce que la consommation mondiale continue de croître. Cette année, les Hommes ont consommé 2,8 Mt de sucre de plus. Et ils en consommeront 40 Mt de plus d’ici dix ans. Qui produira ce sucre ? Pas le Brésil, qui a décidé de mettre l’accent sur le développement de la filière éthanol, ni les autres pays tiers, qui seront limités par les surfaces. L’Europe se présente comme très porteuse. Ensuite, dans un temps plus court, les fondamentaux mondiaux semblent porteurs. Le niveau des stocks est moyen, on pourrait même vivre un déficit mondial. Il n’y a pas encore eu d’envolée des prix, car les spéculateurs sont vendeurs nets et empêche la montée des cours. Mais le sucre est un marché très volatile, et les spécialistes pensent tous à un changement de situation.
Aujourd’hui, la betterave a une valeur de 19 à 20 €/t, à laquelle on peut ajouter 1,5 à 2 € de pulpes. Une reprise du marché du sucre européen de 70 €/t, comme on pense le vivre très vite, devait engendrer une hausse de 4,50 €/t de betteraves.
A quelles autres contraintes est soumise l’Europe ?
Le Brexit est une inquiétude. L’Angleterre est notre troisième client, après l’Espagne et l’Italie, et représente 15 % de nos exportations. Si une mise en place d’une frontière tarifaire subvenait, ce serait une catastrophe pour notre commerce. Mais cette décision ne serait profitable à personne, et elle est loin d’avoir été prise.
Pour tirer notre épingle du jeu, nous devons construire le futur : rénover les contrats, gérer les risques, développer et défendre nos marchés. Lorsque le marché est déprimé, il s’agit de privilégier les marchés rémunérateurs. Et lorsque le marché mondial est porteur, nous devons faire tourner à plein nos usines !
Que demande la CGB pour défendre les intérêts des planteurs dans ce contexte ?
Nous voulons qu’un prix de base soit donné avant les semis, pour permettre un niveau minimal de fonctionnement. Ce prix pourra être complété après la campagne, avec un supplément de prix. Des règles doivent aussi définir le prix des betteraves excédentaires, et les planteurs doivent avoir la possibilité d’augmenter leurs surfaces s’ils le souhaitent.
Pour négocier au mieux, nous pensons que la création d’organisations de producteurs serait intéressante, lorsque ces derniers travaillent avec un groupe privé. Dans les coopératives, nous avons besoin de visibilité et de souplesse dans l’engagement des livraisons.Ensuite, nous préconisons de mettre à disposition des agriculteurs des outils de gestion des risques courants, comme des contrats renouvelés, l’indexation du marché à terme, et la nouvelle épargne de précaution. Soutenir le développement du bioéthanol dans les essences est bien sûr important. Et, évidemment, la science a tout son intérêt dans la réussite agricole.