Faune sauvage
Corvidés : pourquoi les agriculteurs doivent déclarer les dégâts dans la Somme
Sans signalements précis et documentés, le corbeau freux pourrait être retiré de la liste des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (Esod) dans le département.
Sans signalements précis et documentés, le corbeau freux pourrait être retiré de la liste des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (Esod) dans le département.

Dans les plaines céréalières de la Somme, le ballet des corbeaux freux au-dessus des parcelles est devenu un décor familier. Mais derrière cette image bucolique se cache une réalité économique lourde : ces oiseaux grégaires, capables de dévaster un semis en quelques heures, représentent un risque réel pour les rendements.
Or, c’est précisément la preuve de ces dégâts — ou leur absence — qui conditionne le maintien du classement de l’espèce parmi les Esod. Sans remontées suffisantes de la part des agriculteurs, le corbeau freux pourrait être retiré de la liste départementale, ce qui réduirait drastiquement les possibilités de régulation sur les cultures.
Esod : un statut à justifier localement
Le classement des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts repose sur une procédure réglementaire stricte. Dans le cas du corbeau freux, espèce indigène, il relève du groupe 2, fixé pour trois ans par arrêté ministériel. Le dernier datant du 3 août 2023.
Pour que ce classement soit renouvelé tous les trois ans, les services de l’État doivent démontrer l’existence de dommages importants aux activités agricoles. Cela suppose des constats objectifs sur le terrain, des signalements documentés par les exploitants, une analyse chiffrée des impacts sur les cultures. Sans ces éléments, l’administration n’a aucune base légale pour justifier le maintien du classement. En clair : pas de déclaration = pas de preuve = risque de déclassement.
Le corbeau freux : un nuisible sous condition
Bien qu’il fasse partie de la liste des Esod dans de nombreux départements, le corbeau freux n’est pas automatiquement classé. Ce classement est réévalué tous les trois ans à partir de données locales. Si le nombre de déclarations baisse ou que les dossiers transmis à la préfecture sont insuffisants, l’espèce peut être retirée de la liste départementale. La liste pouvant être attaquée par le Conseil d’État.
Dans ce cas, les agriculteurs perdraient un levier important de protection de leurs cultures : impossibilité de destruction en dehors des périodes de chasse ; restrictions pour les tirs de régulation ; démarches administratives alourdies pour obtenir des dérogations ponctuelles.
Des dégâts parfois massifs, mais peu déclarés
Les attaques de corbeaux freux sur les semis de maïs, tournesol ou céréales sont souvent spectaculaires : en quelques heures, des bandes d’oiseaux peuvent réduire à néant plusieurs hectares fraîchement semés.
Pourtant, une grande partie de ces dommages n’est pas déclarée. Pourquoi ? Souvent par manque de temps, parfois par méconnaissance de la procédure, ou parce que les agriculteurs estiment qu’une déclaration n’aura pas d’effet concret.
Or, c’est exactement l’inverse : chaque déclaration compte et renforce le dossier départemental justifiant le maintien du classement Esod.
Déclarer, c’est défendre un outil de régulation
Déclarer les dégâts n’est pas une formalité inutile : c’est un acte stratégique de défense collective. Chaque signalement permet en effet d’objectiver la pression réelle exercée par les corvidés sur les cultures ; fournir à la DDT (Direction départementale des territoires) et à la préfecture des données chiffrées pour leur rapport annuel ; conforter les arguments de la profession agricole lors des réunions de la Commission départementale de la chasse et de la faune sauvage (CDCFS) ; pérenniser le classement Esod, donc les possibilités de régulation.
En pratique, une diminution trop marquée des déclarations peut être interprétée par l’administration comme une baisse de la nuisance, même si la réalité sur le terrain est toute autre.
Comment faire une déclaration de dégâts ?
La procédure est simple et rapide. Elle peut varier légèrement selon les départements, mais dans la Somme, elle suit ce schéma : constater le dégât dès qu’il survient en notant la date, la culture concernée, la surface impactée et prendre quelques photos si possible ; remplir une déclaration de dégâts – le formulaire disponible auprès de la FDSEA ou en ligne sur le site de la FDC80 ; transmettre la déclaration à la FDSEA ou à la fédération de chasse si elle centralise les dossiers. Plus les signalements sont précis (surface, culture, dates, photos), plus ils sont exploitables dans le dossier de justification préfectoral.
Une responsabilité collective
Le maintien du classement Esod du corbeau freux dans la Somme ne repose pas uniquement sur l’administration, mais sur une responsabilité partagée entre l’État, les chasseurs, et surtout les agriculteurs victimes de dégâts.
Sans données concrètes, il devient juridiquement impossible de justifier le maintien du statut. Et sans ce statut, la capacité de réguler les populations de corbeaux freux s’effondre, exposant davantage les cultures.
Appel à mobilisation
Alors que les discussions sur le prochain arrêté ministériel s’ouvrent en fin d’année, chaque dossier compte.
Signaler les dégâts, c’est agir en amont pour défendre les moyens de régulation sur lesquels repose une partie de la sécurité économique des exploitations. «On ne peut pas réclamer un outil de régulation si, sur le papier, les dégâts n’existent pas. Chaque agriculteur a ici un rôle déterminant», résume Samuel Decerf, animateur territorial de la FDSEA de la Somme.
