Filière textile
La France a intérêt à se rhabiller seule… avec des vêtements en lin
Julia Faure, à la tête d’une marque de vêtements éthiques «Loom» et présidente de l’association En mode climat, milite pour une régulation des entreprises textiles. Le 19 juin, à Montcavrel (62), lors d‘une journée technique Lin et Chanvre bio, elle évoquait le contexte de l’industrie du textile et la proposition de loi contre la fast fashion récemment votée au sénat. Elle devrait jouer en faveur de la filière lin.
Julia Faure, à la tête d’une marque de vêtements éthiques «Loom» et présidente de l’association En mode climat, milite pour une régulation des entreprises textiles. Le 19 juin, à Montcavrel (62), lors d‘une journée technique Lin et Chanvre bio, elle évoquait le contexte de l’industrie du textile et la proposition de loi contre la fast fashion récemment votée au sénat. Elle devrait jouer en faveur de la filière lin.

3,5 milliards d’articles d’habillement, chaussures et linge de maison neufs ont été achetés en 2024, soit une moyenne de 42 pièces par Français*. «Les Français n’ont jamais autant consommé, mais il n’y a jamais eu aussi peu de production de textile en France», introduit Julia Faure. Ce 19 juin, à Montcavel (62), elle était l’une des invités de la journée technique Lin et Chanvre bio. Pour elle, le lin textile est une filière qui peut tirer son épingle du jeu. «L’industrie textile va mal, sauf le secteur du lin, dont la production est en augmentation, car elle nécessite les conditions de notre terroir, et n’est donc pas délocalisable», présente-t-elle.
La France était le pays de la mode, et elle ne sait plus s’habiller seule
Le lin souffrirait cependant du «syndrome de la pomme de terre». «On est champion de la production de patates, mais il y a un déficit car nous importons les frites, les chips… En lin aussi, on a laissé filer les étapes de valeur ajoutée de création de textile. C’est un échec social, car nous avons perdu le savoir-faire et les emplois, et une catastrophe environnementale.» Elle avance des chiffres : un vêtement produit en France induirait une émission de 1,8 kg de CO2, quand il représenterait 8,6 kg de CO2 lorsqu’il est produit en Chine. «C’est absurde. La France était le pays de la mode, et elle ne sait plus s’habiller seule. Je suis convaincue de l’intérêt de remonter une vraie filière de transformation locale.»
Juste prix
Une filière locale implique un juste prix, pour la juste rémunération de tous les maillons de la chaîne. Un prix loin de ceux pratiqués par les leaders de l’ultra fast fashion, comme les plate-formes Shein et Temu. «On ne fabrique pas un T-shirt à 4 € dans de bonnes conditions, ni sociales, ni environnementales. Pour les pays producteurs, c’est une catastrophe aussi, car il n’y a pas assez de valeur pour payer les gens qui fabriquent et qui vendent.» Reste qu’il ne s’agit pas seulement d’acheter mieux. «Il faut aussi acheter moins de vêtements.» Car la disponibilité des terres sur lesquelles sont produites les matières naturelles plafonnent le volume. «On a fait sauter ce plafond en allant chercher la matière première dans le sous-sol : le pétrole.»
Que répond Julia Faure aux dirigeants, qui estiment qu’il vaut mieux importer les vêtements, pour exporter des avions, et se spécialiser dans les technologies à haute valeur ajoutée ? «Le problème, c’est que la délocalisation des industries “de base“ fait appel d’air : on perd le savoir-faire, les marques… C’est le socle indispensable d’une montée en compétences.»
Changer les règles du jeu
Pour renverser la tendance, et pouvoir relocaliser la filière textile, Julia Faure estime qu’il faut «changer les règles du jeu». La proposition de loi contre la fast fashion - cette mode ultra-éphémère, incarnée par le géant chinois Shein et ses vêtements à bas coût -, votée le 10 juin au Sénat, la rend optimiste. Pénalités pour les entreprises polluantes, publicité interdite, obligations pour les plateformes, influenceurs sanctionnés… Cette proposition de loi met en place toute une panoplie d’outils pour limiter ce phénomène en pleine expansion. «C’est un préalable nécessaire, mais ça ne suffit pas», nuance-t-elle. Elle craint notamment le lobbying qu’exercent les géants de la fast fashion auprès des pouvoirs publics pour contrer ce texte. Une commission mixte paritaire (CMP) réunissant sénateurs et députés, devrait être convoquée à la rentrée. Ils seront chargés d’aboutir à un texte commun, préalable à l’adoption définitive de cette loi. «La parole des agriculteurs, des filateurs et de tous les maillons de la chaîne sera forte. Nous avons intérêt à nous faire entendre.»
* Source : Refashion, l'éco-organisme chargé par le gouvernement de guider l'industrie de la mode vers un avenir plus circulaire.
La loi fast fashion, en bref
Face à la surproduction textile et à ses ravages environnementaux, le Parlement français s’est saisi d’un sujet brûlant : l’ultra fast fashion. La proposition de loi, portée par la députée Horizons Anne-Cécile Violland et soutenue par le gouvernement, a été adoptée à l’unanimité le 10 juin au Sénat. Députés et sénateurs doivent encore s’entendre sur un texte commun avant une mise en œuvre prévue dès 2025.
Au cœur de cette réforme : la plateforme Shein, symbole de la mode jetable. Basée à Singapour, l’entreprise inonde le marché avec 7 220 nouvelles références par jour en moyenne, selon une analyse réalisée par l’AFP du 22 mai au 5 juin. Un chiffre à comparer aux quelque 290 nouvelles références quotidiennes dans la catégorie «vêtements femmes», et 50 dans celle «vêtements hommes», du site de H&M, acteur traditionnel du secteur.
Pour contrer ce modèle, la loi prévoit un système de «bonus-malus» écologique : plus un vêtement est polluant et produit en masse, plus il sera taxé. Dès 2030, une pénalité de 10 € par article pourrait s’appliquer aux géants de l’ultra fast fashion. Autre mesure phare : l’interdiction totale de la publicité pour ces marques, avec des sanctions spécifiques pour les influenceurs qui continueraient à en faire la promotion. Si cette loi marque une première en Europe, certains s’interrogent déjà sur sa constitutionnalité et sur sa réelle portée, entre défense du pouvoir d’achat et urgence écologique.