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L’article 44 de la loi Egalim nommé désir

Adopté en 2018 en pleine polémique sur les accords de libre-échange, l’article 44 de la loi Egalim entendait imposer qu’aucune denrée entrant sur le sol français ne soit cultivée avec des produits interdits en UE. Mais ce texte est resté lettre morte.

Les agriculteurs français sont exposés à une concurrence qui, à l’autre bout du monde, continue d’utiliser du 2,4-D 
dans ses champs.
Les agriculteurs français sont exposés à une concurrence qui, à l’autre bout du monde, continue d’utiliser du 2,4-D
dans ses champs.
© Pixabay



En France, l’équation posée par le syndicalisme majoritaire est relativement simple : des alternatives techniques aux produits phytosanitaires existent et les agriculteurs seraient prêts à les utiliser. Mais elles engendrent des surcoûts qui les exposent à une concurrence qui, à l’autre bout du monde, continue d’utiliser du 2,4-D dans ses champs.
En effet, la réglementation qui les protège des distorsions est très incomplète. Dans le cas des productions végétales, lorsque l’UE prononce des interdictions de phytos, elle abaisse à zéro les limites maximales de résidus (LMR) tolérées pour cette molécule, d’où que proviennent les denrées. Mais ce mécanisme a deux failles pour les produits importés.
D’abord, les produits bannis peuvent continuer à être utilisés dans les pays exportateurs, pourvu qu’ils ne laissent pas de résidus quantifiables dans les récoltes exportées dans l’UE. Et les limites de quantification sont assez élevées. Ensuite, les produits bannis peuvent faire l’objet de demandes de «tolérance à l’importation», et de relèvement des seuils limites, lorsque leur interdiction est liée au seul motif environnemental ou à la protection des applicateurs. C’est notamment le cas de l’atrazine, interdite en UE depuis 2003, mais utilisée par de nombreux pays tiers. Ce sont ces deux trous dans la raquette que l’article 44 de la loi Agriculture et alimentation entendait résoudre.

Texte français, compétence européenne
Ce fameux article, adopté fin 2018, interdit de vendre ou de distribuer des aliments «ayant fait l’objet d’un traitement ou issus d’un mode de production non autorisé par les réglementations européennes ou ne respectant pas les exigences d’identification et de traçabilité imposées par lesdites réglementations». Autrement dit : il serait interdit d’importer des denrées cultivées avec des molécules qui ont été interdites en UE, quel qu’en fut le motif.
Pourtant, depuis l’entrée en vigueur de la loi Egalim, en novembre 2018, il ne s’est rien passé de tel. Et pour cause : ces mesures ne concernent pas les compétences de la France, mais celles de l’Union européenne. Le texte co-rédigé par les parlementaires est donc inapplicable.

Pour vous aider, Monsieur le ministre
Comment en est-on arrivé là ? Il faut rappeler le contexte. Nous sommes en juin 2018, et les débats sur les accords de libre-échange (UE-Mercosur, Ceta) battent leur plein. Jair Bolsonaro n’est pas encore arrivé à la tête du Brésil (automne 2018), et Emmanuel Macron n’a pas encore enterré l’accord UE-Mercosur suite à la relance de la déforestation en Amazonie (août 2019).
C’est au Sénat que la loi Egalim est assortie d’un article 44, introduit par des élus de tous bords. Le texte a été écrit «dans un esprit de rétablissement de concurrence plus loyale et pour assurer au consommateur une traçabilité plus importante», comme le rappelle la sénatrice UDI Catherine Loisier, l’une des rapporteures du texte.
Rappelons toutefois que dans l’esprit de ses créateurs, l’article 44 n’avait alors qu’une vocation «symbolique». Une logique que Didier Guillaume, alors sénateur de la Drôme et pas encore ministre, appuie : «Il faut parfois inscrire dans la loi des choses qui ne servent à rien [...] pour afficher des orientations politiques», déclare-t-il. Malgré l’opposition de Stéphane Travert, les sénateurs adoptent l’article. Et contre toute attente, il sera validé ensuite par l’Assemblée nationale. Après plusieurs étapes (commission mixte paritaire, assemblée, Palais Bourbon), le mot de la fin revient à Stéphane Travert qui, devant les députés, se prononcera enfin en faveur de l’amendement. Non sans préciser qu’il sera, à son avis, attaqué par la Cour de Justice de l’Union européenne, «où nous perdrons à coup sûr».
Ce mauvais présage ne s’est, pour l’instant, pas vérifié. L’article a même reçu l’aval du Conseil d’État, et n’a pas été attaqué par Bruxelles. L’article 44 est bel et bien inscrit dans la loi. Et les députés ne manquent pas de le rappeler au gouvernement. Dans un rapport consacré à la loi Egalim, publié en mai 2019, les députés Jean-Baptiste Moreau et Jérôme Nury estiment qu’il «serait souhaitable que le gouvernement précise ses intentions sur ce point». Au total, entre mai et septembre 2019, près de 62 questions ont été posées sur l’article 44 par les représentants des deux chambres, tous partis politiques confondus.

Convertir l’Europe
Dans ses réponses officielles aux parlementaires, le ministère de l’Agriculture a annoncé trois mesures : la création d’un comité de suivi réunissant Anses, DGCCRF, et la DGAL, la création d’un observatoire européen, ainsi que le renforcement des contrôles aux frontières. Si les deux premiers points demeurent flous, le troisième s’est matérialisé dans la loi de finances 2020, qui prévoit, sur la mission de «politique de sécurité et de qualité sanitaires de l’alimentation», une hausse de 320 agents.
Le texte est-il condamné à rester lettre morte ? Probablement, à court terme, en tous les cas en France. Si des changements doivent s’opérer, ils le seront depuis Bruxelles, et si l’on en croit Jean-Louis Angot, ils pourraient tarder à se concrétiser : «Ça va prendre du temps», prévoit l’expert. Mais les outils politiques existent.
Et Paris a des alliés à Rome, à Dublin, ou à Vienne, qui pourraient l’aider dans ses démarches auprès de Bruxelles. Avec la nouvelle Commission, «on a les moyens d’avancer ces enjeux-là», espère même Jean-Baptiste Moreau.



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