Série : Chroniques d’une ferme agroécologique
Le semis, étape clé d’un système agroécologique durable
Épisode 1. À Sauvillers-Mongival, Jean Harent cultive les pratiques agroécologiques. Au fil des saisons, nous suivons ses choix, ses réussites, ses remises en question et les expérimentations qui rythment la vie de sa ferme. Premier épisode lors des semis d’automne de blé.
Épisode 1. À Sauvillers-Mongival, Jean Harent cultive les pratiques agroécologiques. Au fil des saisons, nous suivons ses choix, ses réussites, ses remises en question et les expérimentations qui rythment la vie de sa ferme. Premier épisode lors des semis d’automne de blé.

Équipés de leurs couteaux, Jean Harent et ses salariés, Lucas et Marceau, grattent la terre. «Les semences sont plutôt bien positionnées, mais pourraient être un peu plus en profondeur. La terre est dure en surface, et la parcelle est chargée en cailloux. On va remettre un peu de pression au semoir», commentent-ils. Ce 17 octobre, l’agriculteur de Sauvillers-Mongival semait l’une de ses dernières parcelles de blé, de 15 hectares en bordure de bois. Comme pour toutes les autres, la précaution est le maître-mot. «Les semis sont une étape primordiale pour la réussite de la culture, particulièrement lorsqu’il s’agit de semis direct.»
Voilà six ans que Jean s’investit à la ferme, avec une installation en août 2022. Il a repris la suite de son papa décédé il y a quinze ans. Ses expériences professionnelles antérieures lui ont permis de prendre du recul. «Je suis revenu avec une envie de rupture du système.» Passionné d’agronomie et de stratégie d’entreprise, il se tourne vers les techniques de l’ACS (Agriculture de conservation des sols). «Ça fait sens. La plupart des terres sont argileuses à silex, usantes pour le matériel. Les conditions sont séchantes, avec des parcelles exposées au vent. Les potentiels de rendement s’essoufflaient», justifie-t-il. Allongement des rotations grâce à l’introduction de nouvelles cultures, couvertures quasi-permanente du sol et arrêt du labour (non-travail du sol ou travail superficiel) sont désormais pratiqués. «Ça nécessite d’être constamment dans l’adaptation.»
Les dates de semis de blé sont désormais décalées. «Cette année, on est plutôt en avance car les conditions sont bonnes. Mais en année humide, il se peut qu’à la même date on ne soit qu’au début.» Le décalage est l’un des leviers agronomiques pour gérer l’enherbement. «Les graminées lèvent massivement à l’automne. Donc un semis trop précoce expose les cultures aux levées durant leur cycle.» La technique est aussi efficace pour la gestion des risques maladies et ravageurs d’automne (pucerons).
Les semis de blé sont réalisés en direct grâce à un semoir Weaving à disques inclinés de 6 m. «Très peu de terre est bougée. Elle est soulevée et reposée. Le but est de stimuler le moins possible les graines de graminées.» Pour limiter au maximum la perturbation du sol, la vitesse est lente, à 5 ou 6 km/h. Le tout sera roulé après le semis pour un contact terre-graine optimal. Il s’agit d’un mélange de variétés (Kingkong, Pondor, Horizon, Erruptium et Audace), comme pour la plupart des parcelles. «Ainsi, le potentiel est lissé.»
Pour cette parcelle «historiquement sale», Jean a fait le choix d’un allongement de rotation grâce au semis d’une luzerne porte-graine, en place depuis deux ans. Celle-ci a été récoltée mi-août (pour un rendement de
6 quintaux/ha), puis a subi un passage de herse à paille pour répartir les résidus et a été broyée trois semaines plus tôt. «Ces interventions permettent de perturber les mulots, qui sont un élément à gérer en ACS.» Enfin, la luzerne a été détruite au glyphosate sept jours avant le semis. Cette légumineuse est un appui à la fertilisation azotée de ce blé. «Pour l’estimer, je réalise un reliquat par précédant, et je pèse les couverts avec la méthode Merci*.»
Des traitements mesurés
La gestion des traitements phytosanitaires se pense selon le contexte de l’année. Le poste le plus important reste le désherbage. En plus du glyphosate pour la luzerne, un passage est réalisé sur le blé en post-semis pré-levée, juste avant une pluie dans l’idéal. «Il faut que le produit puisse passer le mulch pour atteindre les racines des adventices.» Un deuxième sera effectué au stade 2 ou 3 feuilles «pour un mulch le plus dégradé possible». Depuis deux ans, Jean parvient à faire l’impasse sur l’insecticide, «mais tout dépend de la pression».
Aucun régulateur n’est effectué non plus. Le risque de verse est mesuré. «Ici, on sème à une densité de 330 grains/m2, pour un objectif de 240 à 250 pieds/m2 sortie d’hiver. Cette parcelle au potentiel limité ne permet pas de compenser la perte de pieds par le tallage. La densité est pensée en fonction de la parcelle.» Enfin, la décision d’un traitement fongicide se fait à l’aide d’un OAD. «Il m’arrive de faire l’impasse sur le T1 ou d’opter pour un produit de biocontrôle. Un T2 est en général fait au stade dernière feuille étalée. Le T3 dépend de la pression fusariose.»
Après récolte, de la vesce et des radis seront semés sous couvert à la volée, pour boucher les trous de la luzerne qui va repartir. «L’objectif est d’obtenir de la biomasse pour capter l’azote.» La campagne suivante, une orge de printemps devrait être semée tôt. La luzerne devrait être totalement détruite l’année d’après, avec un semis de tournesol ou de maïs qui nécessite un travail du sol superficiel. «Elle sera scalpée.» La suite au prochain épisode.
* Merci : Méthode d’estimation des restitutions par les cultures intermédiaires, qui estime les teneurs N, P, K et S et Mg.
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Les féveroles, amies du colza

En cette fin de mois d’octobre, le colza est déjà bien développé chez Jean Harent. C’est le cas de la parcelle voisine de celle semée en blé ce 17 octobre. «Il a été semé le 6 août dans les pailles de blé, donc a bénéficié de l’humidité conservée dans le sol après récolte, avec une féverole associée», présente l’agriculteur. Cette féverole a plusieurs intérêts : fixation de l’azote, couverture du sol et perturbation des larves d’altises, grâce à un effet leurre. «Aujourd’hui, le colza a dépassé le stade sensible.» Question azote, un reliquat est réalisé, et la modulation est pratiquée avec l’appui de l’OAD Farmstar. «L’année dernière, j’ai obtenu 53 qx/ha avec 140 unités d’azote.» La féverole sera gérée grâce à un traitement anti-dicot vers novembre.
Des charges mécaniques optimisées
La maîtrise des charges fait entièrement partie de la réflexion en agriculture de conservation des sols. «L’idée est de faire juste ce qu’il est nécessaire pour un rendement optimal», pointe Jean. Pour les semis de blé, la traction du semoir ne nécessite pas une grosse puissance. La pression des pneus adaptée à la portance du sol et la vitesse limitée (5 à 6 km/h) ont l’avantage d’une consommation de GNR très faible. «On est à 5 l/ha environ. C’est imbattable !» Le temps de travail est aussi réduit par rapport à un système avec travail du sol. «En comptant la préparation avec la herse à paille, et l’implantation (semis et roulage), on est en moyenne à trente-cinq minutes par hectare.» Un débit de chantier bienvenu, alors que les Hommes sont de moins en moins nombreux à faire tourner les fermes.
La ferme en chiffres
400 hectares de SAU
13 cultures : colza, tournesol, blé, orge de printemps, avoine de printemps, maïs, sorgho, lin d’hiver, pommes de terre, pois, féveroles, luzerne, vesce. À cela s’ajoute une dizaine d’espèces de couverts.
22 km de haies implantées en novembre 2022, bordées des bandes enherbées 5 ha de surface au sol, dans une parcelle menée en agroforesterie.
3 ha de jachère mellifère et 12 ha de prairies permanentes, soit au total 9 % de l’exploitation, non traitée ni fertilisée.