Céréales
Le triage à façon, clé de la qualité des semences de ferme
De nombreux agriculteurs font le choix du triage à façon pour produire leurs semences de ferme. Ce savoir-faire permet de sélectionner, calibrer et traiter les grains pour en faire des semences prêtes à semer, alliant économie et qualité... à condition de bien préparer le chantier. Reportage avec la coopérative Calipso, qui terminait sa saison de triage chez Charles Defrance, à Eu (76), le 9 octobre.
De nombreux agriculteurs font le choix du triage à façon pour produire leurs semences de ferme. Ce savoir-faire permet de sélectionner, calibrer et traiter les grains pour en faire des semences prêtes à semer, alliant économie et qualité... à condition de bien préparer le chantier. Reportage avec la coopérative Calipso, qui terminait sa saison de triage chez Charles Defrance, à Eu (76), le 9 octobre.

Chaque année, dès que les derniers grains récoltés sont stockés, le vrombissement des stations mobiles de triage et de traitement des semences prend le relais de celui des moissonneuses dans les fermes. Voilà quinze ans que la coopérative Calipso a développé ce service pour ses adhérents, dans les secteurs du Ponthieu et du Vimeu, grâce à deux machines. Quatre équipes de deux personnes se partagent le travail pendant deux mois pour traiter environ 1 500 tonnes de semences : blé et orge principalement, mais aussi pois, avoine, féveroles, épeautre, sarrasin, seigle… «Il y a un besoin et nous y répondons. C’est le rôle d’une coopérative», explique simplement Richard Macé, son directeur. Ce 9 octobre au matin, un des derniers chantiers de la saison avait lieu chez Charles Defrance, à Eu (76).
«La machine est alimentée en grains par l’arrière, grâce à un élévateur. La ventilation envoie le grain dans un calibreur rotatif équipé de quatre grilles. Elles éliminent les graines d’adventices, les tout petits grains et les grains cassés, les bouts d’épis et les grains mal battus. À la fin, il ne reste plus que de la semence», présente Nicolas Lischewski, coordinateur d’exploitation silo de la coopérative. Ce jeudi matin, les semences de blé Garfield ressortent rose bonbon dans les big-bags, puisqu’elles bénéficient d’un enrobage. «Là, il s’agit d’un fongicide (Vibrance). On peut aussi appliquer de l’Austral Plus Net (un traitement complet contenant une protection insecticide et une protection fongicide des semences de céréales, ndlr) et du Latitude XL (contrôle du piétin-échaudage, ndlr). De plus en plus d’oligo-éléments nous sont aussi demandés. On fait selon la demande de l’agriculteur.»
Charles Defrance fait appel à sa coopérative depuis une quinzaine d’années, pour le triage à façon de ses semences de blé et d’escourgeon. «C’est surtout économique», avoue-t-il. Nicolas Lischewski précise que le coût d’une semence peut aller «du simple au double» entre une certifiée et une fermière, à condition que le chantier soit bien organisé. En termes de qualité, l’agriculteur ne voit «rien à redire.» Sur chaque big-bag est indiquée la quantité de semences, le traitement dont elle a bénéficié et le PMG (Poids de mille grains), qui permettra de définir la densité de semis.
40 à 50 quintaux/heure
En quelques heures de travail, ce jeudi matin, 2 500 kg sont traités. L’agriculteur a de quoi semer 24 ha d’orge de variété Zebra, et 75 ha de blé Garfield et Chevignon. «C’est la dernière année de Chevignon. Je vais aussi semer 200 kg de semences certifiées Étoile (KWS) pour le remplacer l’année prochaine. Je pourrai reproduire de la semence fermière pendant quatre ou cinq ans, avant de renouveler à nouveau la variété.» Chez Charles Defrance, le débit de la machine frôle les 60 quintaux/heure. «Mais c’est parce que le chantier est bien organisé, avec une benne qui charge en continu et un télescopique qui range les big-bags au fur et à mesure. En moyenne, on tourne entre 40 et 50 quintaux/heure», précise Nicolas Lischewski.
Un grain propre pour une bonne semence
Le chargement grâce à la benne est idéal, car «plus le débit est régulier, plus la semence sera belle». Cette qualité de semences s’anticipe dès la moisson. «Il faut bien régler sa batteuse, pour avoir un grain le plus propre possible, et éviter les grains cassés et les bouts d’épis.» Nicolas Lischewski conseille de «prévoir large» en termes de volumes, pour assurer une quantité de semences suffisante. «Les rebuts de triage ne sont de toute façon pas perdus, puisqu’ils peuvent être livrés à la coopérative. Souvent, ils entrent même dans les normes.» Le jour J, un grain sec à l’entrée de la machine est indispensable. «Quand il pleut, il faut installer le chantier à l’abri, ou bâcher la remorque.» Pour gagner davantage en efficacité, la coopérative Calipso envisage de s’équiper d’une nouvelle station. «Avec un chantier bien organisé, on devrait pouvoir pousser le débit à 8 ou 10 tonne/heure.»
«Les semences, c’est une ambiance»

Après la moisson, les équipes de Calipso dédiées au triage à façon apprécient cette saison. «Les semences, c’est une ambiance, confie Nicolas Lischewski, coordinateur d’exploitation silo de la coopérative. C’est un autre contexte qu’au silo. Là, on va chez les adhérents. C’est un moment d’échanges privilégié.» Ce jeudi matin chez Charles Defrance, comme dans la plupart des fermes, les gars étaient accueillis par un café. «On prend le temps de discuter quelques minutes avant d’attaquer. Ça paraît anodin, mais les relations sont essentielles. C’est cette chaleur humaine qui fait qu’on aime travailler dans ce milieu et qu’on s’y investi.»
Le cadre légal en France
En France, le cadre légal des semences de ferme n’a pas toujours été très clair. Celui-ci a été réellement défini en 2011 avec la loi sur l'obtention végétale, qui reconnaît le métier de trieur professionnel. À l'échelle européenne, ce cadre légal existe depuis 1994, et il aura fallu plusieurs années au législateur français pour s'y conformer. L'autre étape décisive, c'est la certification des entreprises de triage à façon en 2013 qui a «renforcé le statut professionnel du métier de trieur», selon le Staff (Syndicat des trieurs à façon français).
Ces semences fermières proviennent de semences certifiées, protégées par un certificat d’obtention végétale (COV), le droit de propriété intellectuelle utilisé en Europe par les entreprises de sélection pour protéger les nouvelles variétés. La loi autorise les agriculteurs à ressemer une partie de leur propre récolte issue de variétés protégées pour
21 espèces. Ainsi, pour les espèces protégées par le COV, les agriculteurs doivent verser une compensation à leur détenteur, à l’exception des petites exploitations dont la surface permet de produire moins de 92 tonnes de céréales par an. En France, il existe un niveau de redevance unique sur les semences certifiées pour chaque espèce. De plus, un prélèvement de 1,10 € par tonne est actuellement effectué sur la livraison de blé tendre. Cette contribution, qui participe à rémunérer la recherche des semenciers, est encadrée différemment selon les pays.