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Pourquoi les filières bio enregistrent des déconversions

Si les départs en retraite sont la principale explication des déconversions, celles-ci pourraient augmenter dans les prochains mois, dans un contexte de prix en berne, d’embouteillages sur les marchés, et de nouvelle programmation Pac. Quelques filières, comme le vin ou les œufs, semblent cependant à même d’amortir le choc, en diminuant leur volume de production. Et en lait ou en volailles de chair, certains «verrous» techniques empêchent aussi les producteurs de revenir trop facilement en arrière. 

Les investissements pour se lancer en élevage de porcs bios sont lourds et peuvent dissuader des candidats.
Les investissements pour se lancer en élevage de porcs bios sont lourds et peuvent dissuader des candidats.
© Florence Maupertuis

Des agriculteurs qui abandonnent la production bio pour revenir à l’agriculture conventionnelle ? «C’est un signal faible que nous regardons attentivement», résume Laure Verdeau, directrice de l’Agence bio. En 2021, au moins 2 300 exploitations auraient quitté la bio. Des «abandons» représentant seulement 4 % des 58 720 fermes certifiées du territoire, une proportion correspondant à la moyenne des cinq dernières années. Autre point de repère souligné par l’Agence bio : les arrêts restent largement inférieurs aux 7 500 nouvelles conversions de l’année. «Ce n’est pas choquant par rapport à des turn-overs beaucoup plus importants qu’on peut voir chez d’autres acteurs du bio, comme en boulangerie par exemple», relativise Dorian Fléchet, en charge de l’Observatoire national de l’agriculture biologique au sein de l’Agence bio. 

Départs en retraite, cycles des politiques agricoles, turbulences économiques, ou véritables difficultés techniques ? Concernant les motifs de ces déconversions, les études précises manquent au niveau national, et le secteur en est réduit aux suppositions. «La difficulté que je vois, c’est de différencier ce qui est de l’ordre normal, de ce qui tient à de nouveaux problèmes dans certaines filières», observe Étienne Gangneron, vice-président de la FNSEA en charge du bio. 

Sur le terrain, les exemples sont complexes à trouver, toujours cités sans noms, sans lieux précis. «Ce sont des choses qui se passent de manière confidentielle ou discrète, parce que c’est parfois un aveu de faiblesse des agriculteurs», analyse Philippe Camburet, président de la Fnab. Mais dans un contexte d’engorgement des marchés du lait, des œufs ou des légumes, encore alourdi par une déclinaison française de la Pac centrée sur les conversions, comprendre le phénomène devient important. 

 

Vers un taux à 5 % en 2021 

Comment l’agence obtient-elle ces chiffres ? Auprès des organismes certificateurs, tels que Ecocert, Bureau Veritas, ou Certipaq, qui lui remontent annuellement leurs effectifs. Car chaque fois qu’un exploitant se convertit, il doit se déclarer auprès de l’Agence bio, mais également signer un contrat avec une entreprise de certification. «Si par la suite un exploitant décide d’arrêter l’agriculture biologique, parce qu’il part à la retraite ou qu’il retourne au conventionnel, il résilie ce contrat. C’est à ce moment-là que nous comptabilisons ce que nous appelons un abandon», détaille Thierry Stoedzel, directeur général d’Ecocert France. 

Mais le temps administratif montre parfois un léger décalage avec le terrain. Et face à ce délai d’enregistrement, le pourcentage de déconversions 2021 pourrait encore sensiblement évoluer, prévoit Dorian Fléchet (Agence bio). «Ce n’est pas une explosion des arrêts, mais les organismes certificateurs continuent d’en enregistrer, et le taux pourrait au final atteindre 5 % en 2021.» 

Pour l’heure, le chiffre estimé en 2021 correspond encore à la moyenne observée depuis une dizaine d’années. Depuis 2008, il aurait oscillé entre 0,9 % et 5,3 % du total des exploitations bio, avec un maximum atteint en 2015. «Ce sont des choses que l’on avait déjà vues», confirme Étienne Gangneron. Il rappelle au passage que 2015 avait vu non seulement un pic de reconversions, mais aussi un grand «boost de conversion», avec près de 3 600 nouveaux convertis contre 2000 en 2014. Or, d’après les chiffres de l’Agence bio, près d’un tiers des exploitations sorties du bio en 2021 se sont justement converties en 2015. «Les contrats Maec engagent les producteurs pour cinq ans, et on observe des effets de vague», détaille Dorian Fléchet. En principe, rappelle-t-il, cette aide européenne présente une condition dissuasive de déconversion, puisque les exploitants arrêtant leur processus avant la fin des cinq années prévues doivent rembourser les aides. Une théorie des «vagues», qui ne convainc cependant pas tout à fait chez Ecocert. «Même avant les grands programmes d’aides des années 2010, il y avait déjà des déconversions», glisse Thierry Stoedzel. 

 

Des freins au retour en arrière 

Du côté des filières, si le porc (6 %), l’apiculture (5 %), et les œufs (4,5 %) se classent particulièrement haut en termes de pourcentage d’arrêt, ce sont les grandes cultures qui occupent le haut du classement en absolu, avec 361 arrêts en 2021. «C’est assez mécanique : les grandes cultures représentent la première filière qui recrute en bio, c’est donc celle qui enregistre le plus grand nombre d’arrêts», analyse Dorian Fléchet. De même la viticulture, avec une hausse de 20 % du nombre d’exploitations bio entre 2019 et 2020, se classe troisième sur le podium des déconversions en 2021 avec 280 arrêts. 

L’Agence bio confie en revanche sa surprise devant le taux encore limité de déconversions dans les filières bovines, et plus particulièrement en lait. Il pourrait s’agir d’une part du retard de prise en compte des arrêts déjà évoqué, ou d’un effet à retardement. Mais la casse pourrait aussi être freinée par un effet «cliquet», qui empêche les producteurs de certaines filières de revenir en arrière. «En élevage laitier bio, en recherchant l’autonomie on doit vraiment repenser son système, et c’est un engagement dans la durée», assure Étienne Gangneron. De même en porc ou en volaille, poursuit-il, les investissements pour passer au bio demeurent lourds, et dissuadent probablement les déconversions. 

À l’inverse, les mouvements seraient plus faciles dans des filières pour lesquelles le passage au bio suppose une remise en cause moins fondamentale du fonctionnement de l’exploitation, ou peu d’achats de matériel. «L’extrême, c’est le maraîchage», souligne Dorian Fléchet. En 2021, près de 325 producteurs de légumes seraient sortis du bio, quand 1 080 se seraient convertis, soit un taux de renouvellement de 30 %, contre 25 % en grandes cultures. 

 

Les facteurs d’arrêts en débat 

Seules quelques enquêtes régionales fournissent des chiffres précis sur les raisons des arrêts des producteurs. Une étude publiée par Interbio Occitanie en 2018 estime par exemple que 27 % des 276 déconversions recensées dans la région seraient liées à des «cessations d’activité», pour majorité des départs en retraite. Des arrêts qui ne conduisent pas forcément à une diminution de la SAU bio, puisque les trois quarts des surfaces sont «maintenues en mode de production biologique», précise Interbio. Le retour au conventionnel serait le second motif d’arrêt, avec près de 16 % des notifications. Suivi par 8 % de «faux arrêts», comprenant changements de statuts juridiques, regroupements ou fusions d’exploitations. Au total, le motif de déconversion demeure cependant inconnu dans 48 % des cas. 

 

Un besoin d’accompagnement technique des nouveaux convertis 

Alors que le plan Ambition bio 2022 est en cours d’élaboration, «la technique est un volet qui mérite plus d’implication, dans la mesure où nous avons beaucoup de solutions à trouver», prévient Philippe Camburet, président de la Fnab. «Sur les protéagineux, il y a trop peu de recherche variétale de haut niveau, et certaines des variétés datent encore des années soixante», complète Étienne Gangeron. Autres zones d’ombres pour lui : les outils alternatifs de désherbage, la fertilisation organique, ou même le biocontrôle. Pire, poursuit-il, en plus de ce manque partiel de solutions, «on laisse les producteurs arriver dans la bio avec leurs propres recettes». Si le réseau des chambres s’implique, tout comme les Gab ou les Civam, l’accompagnement reste parfois insuffisant localement. 
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