Séparation vente/conseil des phytos : le modèle économique des coop chamboulé
Interview de Pierre Delignières, président de la coopérative Sana Terra.

Que pensez-vous du contenu de l’ordonnance présentée le 14 novembre ?
C’est la version dure de la séparation capitalistique du conseil et de la vente. Qu’il y ait des changements de pratique sur l’utilisation des phytos, rien de plus normal. Le but est de faire diminuer leur usage. Cette position de la part du gouvernement sous-entend que les coopératives poussent à la roue pour vendre ces produits. Rien de plus faux. Notre rôle est de négocier pour le compte des agriculteurs afin d’obtenir le meilleur prix en massifiant les achats. J’indique que les technico-commerciaux ne sont pas payés au chiffre de produits vendus.
Ce qui m’interpelle, surtout, c’est que notre modèle coopératif est bâti sur un conseil payé par les ventes d’approvisionnement, donc des phytos. Autrement dit, les agriculteurs ont l’habitude que le conseil soit inclus et non différencié du produit, alors que le conseil n’est pas donné. Pour faire passer un changement comme celui-ci, cela ne se fera pas du jour au lendemain. Et, ce qui est à peu près certain, c’est que le conseil que l’on vendra, en volume, ne couvrira pas ce que l’on prélevait sur les phytos. Conséquence : cela remettra en question le modèle économique des coopératives.
Quelle option entre la vente et le conseil retiendra Sana Terra ?
Nous n’avons pas encore déterminé notre choix. Le numérique peut jouer un rôle. On a déjà entamé la digitalisation de l’économie. En partant du postulat que les approvisionnements vont se vendre de manière dématérialisée sur Internet, on pourrait ainsi séparer la vente du conseil, le conseil restant dans les coopératives. C’est une hypothèse. En admettant, toutefois, que l’on conserve le conseil, et que la vente soit gardée par les firmes phytopharmaceutiques, je ne suis pas sûr que les agriculteurs s’y retrouveront sur le plan financier. Ce ne sera pas moins cher, dans tous les cas. Ensuite, pour ce qui est des produits sensibles, et donc dangereux comme les phytos, on ne va pas les transporter comme cela, ni les stocker n’importe comment. Enfin, le conseil annuel sera un coût supplémentaire pour les agriculteurs.
Votre coopérative est-elle armée en termes d’effectifs et de compétences dans le cas où elle choisit le conseil ?
Les effectifs et les compétences, on les a. Le problème qui va se poser est si on ne récupère pas les marges que l’on faisait sur les phytos pour payer les compétences, va-t-on pouvoir garder tout le monde ? C’est une question qui se posera.
Quelles incidences pour vous entraîne la suppression des remises, ristournes et rabais ?
Cela va littéralement bouleverser notre façon de travailler si c’est mis en place au 1er janvier 2019. Normalement, nous négocions les prix deux fois par an. Avec ce système, le prix sera fixé le 1er janvier. Ce sera donc la fin de toute négociation. Et le prix fixé par les firmes phytos sera, il faut s’y attendre, à l’échelon supérieur. Celles-ci ne bossent pas pour rien. Tout cela est très perturbant. Or, définir d’ores et déjà une stratégie commerciale pour une petite coopérative comme la nôtre, c’est particulièrement compliqué, car nous avons toujours le nez dans le guidon.
Que redoutez-vous ?
Acolyance, qui a mis en place très tôt le conseil, a perdu du chiffre d’affaires et a vu des quintaux fuir après avoir baissé le prix du blé versé à ses adhérents. Pour continuer à payer les compétences, la seule option sera de payer moins cher les récoltes. Aux agriculteurs ensuite de prendre leurs responsabilités.