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«L’agriculture, une diva brillante à tendance dépressive»

Interview de Jean-Marie Séronie, Directeur général de CERFrance dans la Manche.

© N. Ouvrard

Jean-Marie Séronie, directeur général de CERFrance dans la Manche s’est livré (à titre personnel) à quelques réflexions sur l’agriculture dans un livre au titre provocateur : L’agriculture française : une diva à réveiller. Il revient notamment sur la tendance du monde agricole à se replier sur lui-même alors qu’il ne s’est jamais aussi bien porté… selon lui.

Pourquoi comparer l’agriculture à une diva ?
On vit une période structurelle très favorable à l’agriculture. Tous les économistes s’accordent à dire qu’on est dans un contexte de prix élevés sur le moyen terme, que la demande mondiale va être supérieure à l’offre et que, globalement, le marché est fortement porteur avec une demande des consommateurs assez importante.
Je travaille dans le monde agricole depuis plus de 30 ans et je n’ai pas le souvenir d’avoir vu une période aussi favorable. L’espace rural n’a jamais été autant peuplé mais ce ne sont plus uniquement des agriculteurs. Dans les années 80, on croulait sous les stocks de produits agricoles. Aujourd’hui, la question c’est : «comment nourrir l’humanité ?».
Parallèlement à ça, nous faisons face à une déprime du monde agricole alors que nous avons une agriculture française très brillante. C’est là que je me suis dit que l’agriculture avait les tendances d’une diva.

Votre première partie s’intitule «l’agriculture une diva brillante mais dépressive», pourquoi ?
Les agriculteurs ont tendance à se sentir marginalisés, ce qui est faux. Comme ils ne sont plus dominants dans les campagnes, ils s’estiment surveillés dans leurs pratiques. Avant, le monde agricole avait des codes très structurés. Aujourd’hui, les agriculteurs sont pris dans une société plus globalisante. La génération d’agriculteurs qui part à la retraite s’est bâtie sur un modèle technique fait de progrès génétiques, de mécanisation et d’intrants chimiques. Ces trois piliers ne sont plus aussi solides qu’avant mais ce n’est pas une remise en cause totale de l’agriculture.

Vous dites dans votre livre que l’agriculture est autocentrée ?
Oui, le monde agricole a une forte tendance à se regarder le nombril. Les agriculteurs doivent s’intéresser beaucoup plus à l’ensemble des parties prenantes qui gravitent autour d’eux. C’est comme si une entreprise ne s’intéressait qu’à ses chaînes de production et pas à ses clients, ni à son environnement. Ce caractère égocentré amène les responsables professionnels agricoles à tenir des discours très simplistes pensant que c’est comme ça qu’ils vont mobiliser leur troupe. Cette façon d’aborder les choses n’aide pas les agriculteurs à comprendre le monde dans lequel ils vivent et à préparer l’avenir.

Justement les responsables syndicaux ont un réel pouvoir sur les politiques …
Ils ont une influence auprès des pouvoirs publics qui est surdimensionnée par rapport à leur pouvoir réel. Cela est lié à tout un système de cogestion collective avec des orientations qui sont prises par le ministère de l’Agriculture suivies d’une application dans les départements par l’Etat qui se fait en concertation avec les organisations professionnelles. Mêmes les décisions d’attributions de telles ou telles aides sont prises dans des commissions dans lesquelles siègent des organisations professionnelles.

Quelles sont vos préconisations pour sortir de ce «système autocentré» ?
La France a un sol et un climat très favorables à l’agriculture et, à l’échelle mondiale, la production est régulière. Même dans les années difficiles, au niveau mondial, les agriculteurs français produisent grâce à un savoir-faire et à un tissu d’entreprises dynamiques.
Par contre, je trouve que les entreprises agroalimentaires ne sont pas assez tournées vers l’export alors que les marchés internes sont globalement saturés. Il existe un consensus en France avec les professionnels de l’agriculture pour avoir les prix les plus lissés possibles. Or, à l’export, les marchés sont tout de suite plus volatils.
Par exemple, les agriculteurs allemands, quand les prix sont bas, produisent davantage pour amortir les charges de structure. Ainsi, les industriels vont en profiter pour exporter de la matière première à bas prix. En France, quand les prix sont en baisse, le réflexe collectif est de réduire la production pour faire augmenter les prix. Les agriculteurs subissent alors la double peine : des marges qui baissent sur des volumes moindres.

Vous tentez également, dans votre livre, de définir la notion d’agriculture familiale.
Nous vivons sur un schéma de pensée qui est celui des années 60 et n’a pas changé : un couple sur une exploitation avec un capital d’exploitation qui lui appartient. Aujourd’hui, l’agriculture est plus diverse, demain on aura des actionnaires, de plus en plus de salariés, des vraies sociétés agricoles… On n’a jamais pris le temps de modifier notre vision de l’agriculture familiale.
Pour moi la définition de l’agriculteur actif dans la loi d’avenir ne correspond pas à l’avenir. Le statut de la personne et le statut de l’entreprise agricole ne sont pas clairs, il y a une tendance à mélanger les deux. Je pense qu’on ne fera pas l’économie d'engager très rapidement une réflexion sur ce qu’on entend aujourd’hui par entreprise agricole familiale. C’est une question centrale dans la définition de notre politique agricole.

Jean-Marie Séronie, L’agriculture française, une diva à réveiller ? Editions Quae, sept. 2014, 114 pages, 15 €.

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