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La sous-location des terres agricoles progresse chez nous

Sujet tabou s’il en est, la sous-location des terres agricoles, bien qu’interdite, s’observe dans tous les Hauts-de-France. Ses incidences sont nombreuses. Revue en détail.

Il n’est pas rare de voir, dans la région, des producteurs de pommes de terre belges qui repartent avec leur production
en camion.
Il n’est pas rare de voir, dans la région, des producteurs de pommes de terre belges qui repartent avec leur production
en camion.
© V. Marmuse

 

 

«C’est un jeu très dangereux, qui peut coûter cher au fermier, puisque la sous-location des terres agricoles est interdite. Si la sous-location est démontrée, le fermier peut perdre son bail, soit la totalité des hectares en fermage, même si toutes les terres ne sont pas en sous-location, et des pénalités peuvent lui être infligées en cas de contrôle Pac», rappelle Jean-Marie Turlot, président de la section des propriétaires bailleurs de la Somme. A l’heure des discussions autour de la loi foncière, et des négociations autour du statut du fermage, les fermiers pourraient perdre gros à ce «jeu». Ce qui inquiète notamment le président de la section des fermiers de la FDSEA de la Somme, Olivier Faict. «Cela prête le flanc à ce statut, qui pourrait être remis en cause», insiste-t-il.

Pourtant, la sous-location des terres agricoles se pratique de plus en plus depuis au moins une dizaine d’années dans les Hauts-de-France. Si cette pratique est apparue tout d’abord dans le Nord et le Pas-de-Calais, aux abords de la frontière belge, la sous-location est aussi signalée depuis quelques années dans la Somme, l’Oise et l’Aisne. Bien qu’il n’existe pas de statistiques officielles sur la sous-location, selon les données fournies à la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf), cela concernerait une dizaine de milliers d’hectares dans la région, «mais nous ne sommes pas en mesure de confirmer ces chiffres», précise cependant Thierry Dupeuble, directeur adjoint de la Draaf Hauts-de-France. Reste que «plus les terres ont un bon potentiel, plus la pratique est flagrante», ajoute Olivier Faict.

Filières concernées

Ce sont les besoins importants de l’industrie belge en pommes de terre qui sont à l’origine de cette pratique. Le manque de terres, et de bonnes terres chez eux, ainsi que la question des rotations longues, à laquelle s’ajoute le problème des nématodes, qui vient contrarier le retour de la pomme de terre quand la maladie est présente, expliquent cette croissance de la sous-location des terres agricoles dans les Hauts-de-France. «C’est très clair qu’il y a une forte augmentation de demande dans le monde entier de pommes de terre, portée par les surgelés et les chips. Pour beaucoup de producteurs du nord de la France, les relations commerciales avec des acteurs belges qui font des contrats de culture sont une opportunité», estime Romain Cools, de l’Association belge des professionnels de la filière Belgapom. Mais cette pratique se développe aussi de plus en plus dans la filière légumes, ainsi que dans celle du lin, toutefois dans une moindre mesure, selon les dires unanimes des agriculteurs et des autorités.

Si les entreprises belges sont en ligne de mire, elles ne sont pas les seules à la recherche de terres agricoles à sous-louer. «Tout le monde accuse les Belges, mais des producteurs français le font aussi», indique Simon Ammeux, coprésident des Jeunes agriculteurs Hauts-de-France, notamment des producteurs historiques de pommes de terre alléchés par un marché actuellement porteur, ou des agriculteurs qui arrivent à la retraite et choisissent de continuer en sous-louant les terres qu’ils ont en fermage. De quoi compléter leurs revenus ou maximiser l’utilisation des terres sans se charger des cultures. Il faut dire que la tentation est forte au vu des prix pratiqués, soit entre 1 000 et 1 500 € à l’hectare pour la production de pommes de terre alors que le taux de fermage moyen est de l’ordre de 220 €/ha. Mais si la tentation est forte, avoir recours à cette pratique fait courir des risques multiples et, de surcroît, à l’ensemble de la profession.

 

Un statut en danger

En sachant que plus de 75 % des terres agricoles sont en fermage dans les Hauts-de-France, c’est le statut du fermage qui pourrait être remis en cause, clé de voûte de l’agriculture dans notre région. De quoi fragiliser l’agriculture dans tout le territoire. «C’est vraiment un sujet qui m’inquiète. Comme beaucoup ne respectent plus le statut du fermage, les bailleurs sont bien plus frileux pour mettre leurs terres en fermage. De plus, on va pénaliser les systèmes les plus fragiles, ceux qui ne sont pas concernés par ces pratiques, notamment les éleveurs et ceux qui cultivent dans leur périmètre», commente Simon Ammeux. «Le problème aujourd’hui, c’est que beaucoup de propriétaires ne veulent plus faire de baux au vu de ces pratiques, et préfèrent opter pour le travail à façon», ajoute Jean-Marie Turlot.

Cette pratique induit également un détournement du schéma des structures. «En tant que représentant de la Safer Hauts-de-France, nous sommes attachés à ce que toute surface cultivée fasse l’objet d’un encadrement à travers un bail, un contrôle des structures et un contrôle de la Safer. On estime qu’il n’y a pas un marché qui doit rester sans contrôle. Quand les choses ne sont pas régulées, cela fausse la concurrence», explique Xavier Flinois. Notamment du fait de la réglementation différente entre la France et la Belgique, cette dernière n’étant pas soumise, entre autres, à la redevance pour pollutions diffuses quand ils viennent chez nous. Sans compter la fuite de la valeur ajoutée de l’autre côté de la frontière.

Pis encore, pour les agriculteurs, «un fermier qui sous-loue ne fait plus son boulot», s’indigne Olivier Faict. Défendre ensuite le statut d’agriculteur professionnel devient coton, puisque la pratique entache la profession dans son ensemble. Ce qui révèle aussi un malaise au sein de cette profession et une vision du chef d’entreprise à court terme. «Déléguer tout n’a pas de sens pour un agriculteur professionnel et avoir recours à la sous-location, c’est ne plus avoir de vision sur le long terme de son exploitation. C’est vraiment un système pervers, qui peut ne plus donner envie d’entreprendre», renchérit Simon Ammeux.

Pression sur le foncier

Autres effets pervers  : l’accès au foncier et la pression sur le prix des terres. «La transmission d’exploitation, quand un agriculteur part à la retraite, peut être reportée, ce qui engendre des perturbations sur le foncier et son évolution, y compris pour la reprise de nouveaux agriculteurs. C’est une conséquence supplémentaire de cette pratique», souligne Thierry Dupeuble.

«On a des jeunes qui souhaiteraient s’installer, mais ne trouvent pas de terres. Ou bien, quand il y en a, ceux qui pratiquent la sous-location et ont construit un pécule non négligeable, peuvent offrir des prix intéressants à des cédants que ne peuvent pas proposer des jeunes agriculteurs. Du coup, cela renforce la spéculation sur le foncier et fait monter les prix», déplore Simon Ammeux. Au déséquilibre du marché foncier s’ajoute une autre problématique, qui suscite les craintes des agriculteurs, les risques sanitaires.

Enjeux sanitaires

Outre l’appauvrissement des terres, le temps des rotations n’étant pas forcément respecté, s’ajoute les risques sanitaires. «La pomme de terre pose des problèmes spécifiques, notamment sur le plan sanitaire, la crainte étant que, dans cette recherche de nouvelles parcelles, toutes les précautions ne soient pas prises pour éviter le développement des nématodes», dit Thierry Dupeuble. D’autant que la problématique nématode n’est pas la même en Belgique, et que les plants ne sont pas aussi contrôlés qu’en France. Mais, pour l’heure, selon la Draaf, les pommes de terre contrôlées n’ont pas, à ce jour, révélé d’utilisation de produits interdits et les plants importés étaient assortis d’un passeport phytosanitaire européen. Et d’ajouter : «Notre expérience nous amène à penser que ce n’est pas du côté belge qu’il faut veiller aux bonnes pratiques de culture

Quoi qu’il en soit, c’est un vrai sujet d’inquiétude pour les agriculteurs des Hauts-de-France, car un des derniers rares avantages de ce territoire est d’avoir encore des terres saines. «Quand les entreprises étrangères viennent produire chez nous, il est impossible qu’il n’y ait pas de risque de transfert de maladies. A la seconde où on ouvre les portes, c’est comme si on faisait rentrer le loup dans la bergerie», commente un agriculteur.

Alors que faire ? Espérer que l’administration s’en empare et que les sanctions contre la pratique de sous-location des terres agricoles soient renforcées. Vœu pieux ?

Une menace pour l’élevage ?

La Draaf, elle, se montre plus inquiète sur le fait que des agriculteurs retourneraient des prairies, notamment des prairies permanentes, pour produire des pommes de terre dans des terres en sous-location. «Nous avons été alertés de ces pratiques. C’est clairement une menace pour l’élevage et la biodiversité. Quand on sait qu’on frise un taux négatif de 5 % des prairies permanentes, si celui-ci diminue, on sera obligé d’interdire le retournement des prairies permanentes, ce qui figera des possibilités d’exploitation pour les exploitations», indique Thierry Dupeuble. C’est, au final, le développement de l’agriculture dans d’autres secteurs qui risque d’être hypothéqué.

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